Le CDI senior : fausse promesse ou levier de recrutement ?

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Un CDI senior. C’est le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 3 juillet 2025, visant à booster les recrutements chez les plus de 60 ans. Une mesure qui divise, entre scepticisme et interrogations. On fait le point sur ce “contrat de valorisation de l’expérience”, nouvelle vitrine du gouvernement en matière d’emploi des seniors.

Senior et emplois : quel bilan en 2025 ?

Si le gouvernement décide de saisir le sujet de l’emploi des seniors à bras le corps, c’est parce que la question est devenue centrale à plusieurs titres. Vieillissement de la population, allongement de la durée de vie professionnelle, difficultés de recrutement dans certains secteurs : tout converge pour placer l’emploi des plus de 55 ans au cœur du débat public.

Et si le taux d’emploi des seniors est au plus haut depuis 1975, selon un rapport DARES, il n’en demeure pas moins inférieur à la moyenne européenne (56 % contre 60,5 %). Un retard que le gouvernement entend bien rattraper avec son nouveau projet de loi sur l’emploi des seniors, dont l’un des mesures phrases consiste à instaurer ce fameux CDI senior, appelé “contrat de valorisation de l’expérience” (CVE).

Rappelons également que, selon un rapport de l’INSEE datant de 2023, 21% des seniors entre 55 et 61 ans ne sont ni en emploi ni en retraite : une situation qui est souvent subie, notamment pour des raisons de santé ou de handicap. 4% d’entre eux ne trouvent d’ailleurs pas d’emploi , et ce malgré une recherche active.

Une difficulté qui peut s’expliquer en partie par des stéréotypes liées à la vieillesse – qu’on appelle aussi “âgisme”. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • 50 % des seniors déclarent avoir connu des relations de travail dévalorisantes au cours des cinq dernières années (source : Baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi).
  • Selon l’Insee, en 2022, en France, 47 % des adultes ayant terminé leur formation initiale ont suivi une formation, mais seulement 24 % des 55-64 ans.
  • A la suite de discriminations, 18% des seniors victimes déclarent avoir démissionné ou négocié leur départ et 17% ont été licenciés ou n’ont pas vu leur contrat renouvelé.

Un phénomène loin d’être aussi marqué chez nos voisins européens, qui ont su mettre en place des politiques pour lutter contre les discriminations vis-à-vis des seniors.

Résultat : La France tente tant bien que mal de rattraper son retard. L’objectif, annoncé l’année dernière par le gouvernement, est de parvenir à un taux d’emploi de 65 % des 60-64 ”à l’horizon 2030”.

Le CDI senior : qu’est-ce que c’est ?

La proposition du CDI senior correspond à un contrat de travail réservé aux demandeurs d’emploi de 60 ans et plus, ou dès 57 ans dans certaines branches, inscrits à France Travail et qui n’ont pas travaillé au cours des six derniers mois.

Baptisé “contrat de valorisation de l’expérience”, il s’agit d’un contrat à durée indéterminée, ce qui lui confère une certaine stabilité par rapport aux formules déjà expérimentées par le passé, comme le CDD senior. Toutefois, le dispositif est lancé sous forme de test : il sera appliqué pour une durée de cinq ans avant qu’une évaluation en 2030 ne permette de décider d’une éventuelle généralisation.

Le CDI senior ne se limite pas à un simple recrutement. Il s’accompagne d’un encadrement renforcé de la gestion des fins de carrière dans les entreprises. Les sociétés de plus de 300 salariés devront ainsi ouvrir tous les trois ans une négociation sur l’emploi des seniors.

De plus, chaque salarié âgé de 60 ans bénéficiera d’un rendez-vous de fin de carrière, destiné à faire le point sur son état de santé, ses conditions de travail et les aménagements possibles pour prolonger son activité dans de bonnes conditions.

Ce contrat se veut donc à la fois un outil de retour à l’emploi pour les seniors éloignés du marché du travail et un levier de transformation des pratiques des entreprises face au vieillissement de la population active.

Les avantages du CDI senior

Le CDI senior, tel qu’il est prévu, prend fin automatiquement dès que le salarié atteint l’âge de départ à la retraite à taux plein. À noter que le CVE sera compatible avec la retraite progressive ou le cumul emploi-retraite.

L’avantage principal du CDI senior : il encourage les entreprises à recruter des personnes de plus de 60 ans. En effet, en échange de l’utilisation de ce nouveau contrat spécifique, les employeurs bénéficieront d’une exonération de 30% des cotisations patronales sur l’indemnité de mise à la retraite.

L’embauche d’un salarié senior pourrait alors s’effectuer sans diminution de ses revenus. Le dispositif prévoit la possibilité de cumuler, sous certaines conditions, l’allocation chômage avec la nouvelle rémunération. Ce cumul viserait principalement les postes dont le salaire est inférieur à celui de l’emploi précédent.

Les critiques formulées à l’encontre du CDI senior

Si le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 3 juillet 2025 met en avant un CDI stable destiné à valoriser l’expérience des seniors, plusieurs points suscitent des réserves.

D’abord, la possibilité pour l’employeur de mettre fin au contrat dès que le salarié atteint l’âge légal de départ à la retraite à taux plein, sans que celui-ci puisse s’y opposer, interroge sur la véritable durée du dispositif. Certains y voient un CDI à durée “masquée”.

Par ailleurs, les exonérations de cotisations patronales associées à ce contrat soulèvent des inquiétudes. Des syndicats redoutent qu’elles n’aboutissent à la création d’une main-d’œuvre senior à moindre coût.

Plus largement, des critiques portent sur le risque de marginalisation : certains craignent que ce contrat spécifique ne contribue à isoler les plus âgés dans un statut particulier, alors que l’objectif affiché est justement de renforcer leur intégration dans le marché du travail.

Enfin, le débat reste ouvert sur la stratégie globale : là où d’autres pays européens privilégient des mesures comme la reconversion, l’adaptation des rythmes de travail ou l’investissement dans la formation continue, la France mise pour l’instant sur l’expérimentation d’un contrat dédié.

Le pari est donc lancé : d’ici à 2030, la France saura-t-elle transformer ce contrat expérimental en véritable tremplin pour l’emploi des plus de 60 ans, ou assisterons-nous à un nouvel épisode de “réforme manquée” dans la longue histoire de l’emploi des seniors ? Réponse dans les mois à venir sur l’efficacité réelle de ce nouveau dispositif.

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