Après s’être discrètement glissée dans les services RH en automatisant leurs tâches les plus chronophages, OpenAI fait désormais une entrée fracassante dans le monde du recrutement. Son projet OpenAI Jobs Platform, annoncé pour 2026, nourrit autant d’espoirs que d’inquiétudes : cette innovation signe-t-elle la fin des jobboards traditionnels et l’ouverture d’une nouvelle ère pour les pratiques de recrutement ?
Décryptage aux côtés de Daniel Morais, Responsable Innovation chez Ideuzo.
Former plutôt que subir : la stratégie OpenAI Academy
La progression de l’intelligence artificielle est inéluctable. C’est en tout cas le discours tenu par Fidji Simo, numéro deux d’OpenAI : “les emplois changeront, les entreprises devront s’adapter et nous tous, des employés aux PDG, devons apprendre à travailler différemment”. Une progression que rien ne peut arrêter – pas même ceux qui l’ont lancée -, et face à laquelle on ne peut qu’évoluer.
La solution made-in OpenAI est donc simple : aider les salariés à maîtriser l’IA, et ce pour anticiper l’évolution inévitable des métiers. Car même le Future of Jobs Report le dit, 170 millions de nouveaux emplois émergeront d’ici 2030 – au détriment de 92 millions de postes qui, eux, disparaîtront tout bonnement.
Pour enrayer ce bouleversement profond du marché du travail, le géant de l’intelligence artificielle entend donc renforcer son service OpenAI Academy, qui propose des formations pour œuvrer au développement des connaissances des salariés en matière d’intelligence artificielle.
Objectif : 30 millions d’Américains formés d’ici 2030. Un projet qu’elle met déjà à exécution en nouant des partenariats avec des entreprises, qui peuvent ensuite proposer des certifications à leurs employés. Walmart, le plus grand employeur privé américain, s’est d’ailleurs empressé de signer un accord avec OpenAI.
LinkedIn dans le viseur ?
Mais OpenAI ne s’en tient pas là. Loin de se contenter de former les salariés, elle entend désormais investir pleinement le milieu du recrutement en lançant son propre jobboard spécialisée dans les métiers de l’IA.
“Pas un simple site de petites annonces” selon Fidji Simo, mais une véritable plateforme de mise en relation entre les entreprises et les candidats avec des compétences liées à l’intelligence artificielle.
L’objectif est double : créer un espace pour mettre en valeur les profils “AI-ready”, mais aussi injecter directement les technologies d’OpenAI dans la plateforme pour permettre aux employeurs de dénicher la perle rare qui correspond à leurs besoins.
Pas un simple dépôt de CV, mais une plateforme outillée, capable d’évaluer concrètement les compétences en IA et de rapprocher efficacement talents et recruteurs.
Selon Daniel Morais, ”l’objectif n’est pas de faire un réseau social comme LinkedIn, mais de bâtir un outil de matching de compétences. C’est une concurrence partielle avec LinkedIn, mais beaucoup plus frontale avec Upwork ou Fiverr, dont le modèle repose sur la redistribution de projets IA à leur communauté.”
L’adoption de l’IA en entreprise : le véritable enjeu
Si la nouvelle concentre les débats autour du futur des jobboards et la prétendue volonté pour OpenAI de concurrence LinkedIn, le réel enjeu réside autre part selon Daniel Morais :
“Aujourd’hui, l’usage de GPT est surtout B2C. Mais côté B2B, une étude du MIT révèle que 95 % des projets IA déployés n’apportent aucun impact business. C’est précisément à ce moment-là qu’OpenAI lance sa plateforme : le vrai sujet, c’est donc bien l’adoption en entreprise”, explique Daniel Morais.
La stratégie est claire : certifier des experts et les connecter aux organisations pour sécuriser cette adoption. ”Les échecs viennent souvent d’une imposition “par le haut”. Pour réussir, il faut partir du terrain, écouter les métiers, comprendre leurs besoins, puis construire progressivement”, poursuit-il, avant de conclure : ”L’enjeu n’est pas seulement de générer du chiffre, mais de favoriser une adoption massive et durable de l’IA.”
OpenAI, futur architecte du marché du travail ?
Le recrutement, déjà chamboulé par l’IA
Le débat sur l’impact futur de l’intelligence artificielle dans le recrutement paraît presque vain : car cette transformation est déjà bel est bien en cours. Les grands acteurs accélèrent le mouvement : Indeed expérimente des assistants IA pour recruteurs et candidats, tandis que LinkedIn prépare ses propres agents intelligents.
Cette automatisation touche directement les professionnels du recrutement… mais aussi les talents. Comme le souligne Daniel Morais, “on assiste déjà à un bouleversement des jobs. Des postes juniors, qui étaient encore il n’y pas si longtemps basés sur des tâches répétitives, sont remplacés par l’IA. Résultat : les jeunes peinent à trouver un emploi, le chômage est élevé.”
Un constat qui souligne l’urgence d’accompagner la transition : “On n’a pas le choix : on va vers l’IA, mais il faut accompagner les deux côtés – recruteurs et candidats – avec des experts”. Et c’est précisément ce que propose OpenAI avec son programme de certification.
Demain, des jobboards pour recruter… des IA ?
Au-delà de son jobboard et de ses programmes de formation, OpenAI esquisse déjà une vision plus radicale de l’avenir du travail. Dans vingt ans, le recrutement pourrait ne plus concerner des individus, mais des agents d’IA spécialisés – capables d’assurer la relation client, de gérer des ventes ou de coordonner des projets entre eux.
”On pourrait imaginer, dans 20 ans, le premier jobboard d’agents IA. Une entreprise ne recruterait plus une personne, mais un agent IA capable de faire du CSM, de la vente… On se dirigerait vers des solopreneurs épaulés par une équipe d’agents spécialisés, capables de dialoguer entre eux, d’envoyer des mails,… C’est un scénario possible.”, explique Daniel Morais. Les entreprises feraient alors appel à une “équipe numérique” sur mesure, constituée d’agents autonomes exécutant des missions complexes sans intervention humaine directe.
Les géants de la tech en mission sauvetage
Ce scénario s’inscrit pourtant dans une tendance déjà amorcée. “Aujourd’hui déjà, certaines boîtes lèvent des fonds pour créer des “hommes augmentés”. On pense par exemple à 1X Technologies ou à Merge Labs, financées via l’OpenAI Startup Fund. OpenAI a déjà investi plusieurs dizaines de millions dans ce domaine.” rappelle Daniel Morais. Plusieurs start-up, soutenues par OpenAI, explorent en effet ces modèles hybrides, mi-humains mi-assistés, destinés à répondre à des problématiques d’ampleur.
Les géants de la tech eux-mêmes jouent cette carte visionnaire. “Demis Hassabis, le patron de DeepMind (Google), a par exemple déclaré récemment qu’avec l’aide de l’IA, on pourrait peut-être guérir toutes les maladies d’ici dix ans. Une déclaration aux accents marketing, mais qui illustre bien cette posture de “sauveur”.” souligne Daniel Morais.
Derrière ces promesses spectaculaires se dessine une logique : se positionner en architectes – voire en sauveurs – d’un futur incertain, quitte à bousculer radicalement les fondations du marché du travail.