France Travail pourra-t-il fouiller vos données ? Ce que dit vraiment la loi

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Le sujet fait la une depuis plusieurs jours : dans le cadre d’un projet de loi renforcé contre la fraude sociale et fiscale, le Sénat a adopté en première lecture un article autorisant France Travail à accéder à certaines données personnelles des allocataires. Une mesure qui divise, inquiète, questionne – mais qui marque surtout un tournant majeur dans la manière dont l’État veut lutter contre les fraudes aux allocations chômage.

Alors, que prévoit vraiment la loi ? Quels types de données seront accessibles ? Jusqu’où peut aller ce contrôle ? Et faut-il s’en inquiéter ? Décryptage.

Pourquoi cette mesure maintenant ?

En 2024, le montant de la fraude aux allocations chômage est estimé à 136 millions d’euros, dont 56,2 millions liés à des fraudes à la résidence ou à une activité à l’étranger non déclarée. Autrement dit, une part significative de la fraude provient de situations où des personnes continuent de percevoir des allocations en affirmant résider en France… alors qu’elles vivent ou travaillent ailleurs.

Avec la dématérialisation des démarches, il est devenu plus simple de contourner les règles : plus besoin de se présenter physiquement, les contrôles sont moins visibles, et vérifier la réalité d’une adresse ou d’une situation devient plus complexe pour l’administration.

Dans un contexte de forte tension sur les finances publiques, l’exécutif entend donc serrer la vis : l’enjeu est clairement de réduire les pertes et de renforcer les contrôles. C’est dans ce cadre que, le mardi 18 novembre, le Sénat a adopté en première lecture une version durcie du projet de loi.

L’une des dispositions les plus marquantes prévoit désormais d’autoriser France Travail à accéder à certaines données personnelles afin d’identifier plus rapidement les cas de fraude ou d’activité non déclarée. Une évolution qui marque une rupture avec les pratiques de contrôle actuelles.

Quelles données personnelles France Travail pourra consulter ?

C’est la question qui inquiète. En cas de soupçon de fraude, France Travail pourrait, selon les premiers éléments, consulter différents fichiers et bases de données pour recouper les informations.

Parmi les sources envisagées :

  • les fichiers des compagnies aériennes,
  • le registre des Français établis hors de France,
  • certains relevés téléphoniques,
  • ainsi que des données de connexion.

L’idée est de pouvoir vérifier, de manière plus objective, si la personne concernée réside réellement en France ou si elle perçoit des allocations tout en vivant ou travaillant à l’étranger.

Les conséquences peuvent être lourdes : en cas d’indices de fraude, cette nouvelle possibilité de contrôle pourrait conduire à la suspension de l’allocation chômage jusqu’à trois mois, avec une notification immédiate de la décision. La personne aurait toutefois la possibilité de contester dans un délai de deux semaines.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit aussi de conditionner le versement des allocations chômage à la détention d’un compte bancaire domicilié en France ou dans un pays de l’Union européenne pour les personnes sans emploi qui résident à l’étranger. Là encore, l’objectif affiché est de limiter les risques de fraude et de mieux tracer les flux.

Une mesure qui divise profondément

Comme souvent lorsque l’État souhaite élargir son accès aux données personnelles, deux visions s’opposent nettement : celle de l’efficacité administrative… et celle de la protection des libertés individuelles. Et c’est précisément dans cet entre-deux que se situe la controverse actuelle.

Les arguments du gouvernement

Pour l’exécutif, cette mesure s’inscrit dans une volonté de moderniser les contrôles et de mieux cibler les situations frauduleuses.

L’idée est de permettre à France Travail de recouper plus aisément différentes sources d’information, qu’elles proviennent d’administrations, d’organismes partenaires ou de fichiers soumis à autorisation, afin de repérer plus rapidement des incohérences.

Le gouvernement met en avant plusieurs objectifs :

  • Identifier plus vite les fraudes, aujourd’hui souvent détectées tardivement.
  • Moderniser les outils de contrôle, jugés trop lents, trop manuels et mal adaptés à la dématérialisation.
  • Limiter les pertes financières, dans un contexte budgétaire particulièrement tendu.

Sa ligne de défense repose sur une idée simple : il ne s’agirait pas de mettre en place une surveillance systématique des allocataires, mais de mieux structurer les vérifications afin de renforcer la cohérence et la réactivité des contrôles.

Les inquiétudes qui montent

Face à cette ambition de renforcement, les défenseurs de la vie privée et les spécialistes du numérique alertent sur plusieurs risques importants – certains sénateurs de gauche parlant même de “flicage”.

  • Le risque d’un glissement vers une surveillance généralisée : une fois l’accès ouvert, la tentation d’étendre les usages ou d’élargir le périmètre des données peut augmenter.
  • Un flou persistant sur la nature exacte des données consultées : fichiers aériens, connexions, téléphonie… Le périmètre est large et soulève des questions sur la proportionnalité du contrôle.
  • Une exposition accrue aux fuites de données : plus les bases sont consultées, plus le risque de piratage ou d’erreur humaine s’élève – un enjeu majeur quand on parle d’informations personnelles sensibles.
  • Des erreurs algorithmiques possibles, pouvant suspendre les droits de personnes parfaitement en règle si les croisements sont mal interprétés.
  • Un manque de visibilité sur les procédures internes : qui accède à quoi, comment, à quelle fréquence, avec quels garde-fous ?

Une mesure qui fait donc débat, et ne pourra fonctionner que si les garde-fous sont extrêmement solides, traçables et transparents. À suivre.

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