Quand les RH craquent : briser le tabou du burn-out

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Garants de la santé mentale des collaborateurs en entreprise, les RH eux aussi sont victimes de burn-out. Un sujet tabou, autour duquel s’est installée une véritable omerta.

Comment expliquer ce phénomène ? Pourquoi ne lève-t-on pas le voile sur la surcharge émotionnelle, l’isolement de la fonction et les injonctions paradoxales qui l’alimentent ? Entretien avec Sandrine Blin, RH freelance, qui raconte les signaux faibles, les mécanismes à l’œuvre et les pistes concrètes pour protéger celles et ceux qui protègent les autres.

La chute programmée : quand la vocation se heurte à la réalité

Des métiers du social à la désillusion RH

Sandrine est loin d’être un cas isolé. Après avoir été responsable RH dans une PME industrielle pendant 4 ans, elle fait un burn-out et se lance en freelance.

Cette volonté d’aider les autres, elle l’a toujours eue : “J’ai passé un concours pour être assistante sociale avant de devenir RH. Et puis, finalement, je me suis dirigée vers les ressources humaines, avec l’envie d’aider les autres et de leur permettre d’évoluer. C’est un parcours qu’on retrouve chez beaucoup de RH, qui sont souvent attirés par les métiers du social d’abord”.

Puis, la désillusion. En entreprise, elle se retrouve confrontée aux mécanismes implacables de la performance et des logiques économiques.

Peu à peu, la réalité du poste use, jusqu’à provoquer une véritable dissonance intérieure.

Derrière les sourires et le discours bienveillant, se cache souvent une grande souffrance : celle de ceux qui voulaient réparer le monde du travail et qui, à force de tout encaisser, finissent par se briser.

“En sandwich” entre direction et salariés

La fonction RH n’a pas d’équivalent en entreprise : elle sert de tampon entre les collaborateurs et la direction. De par cette posture de médiateur – véritable poste de péage entre le haut et le bas -, il se trouve souvent coincé dans une zone floue, un entre-deux qui ne peut qu’impacter ses relations avec les équipes :

”Dans la vie de tous les jours, on oublie que le responsable RH est aussi salarié. La position de RH est très compliquée parce qu’on est entre la direction qui ne veut pas toujours nous écouter, et les salariés qui vont exprimer toutes leurs frustrations sur nous. Résultat : on se retrouve en sandwich entre tout ça. Et dans tout ça, nous, on essaye de faire du mieux qu’on peut, mais on se retrouve avec une pression conséquente qui explique qu’il y ait énormément de RH en burn-out”

Pris entre deux feux, tiraillés entre la loyauté envers les équipes et celle envers la direction, les RH subissent des tensions opposées qui créent un terreau idéal pour l’épuisement professionnel.

Un sentiment de solitude

En tant que médiateur, le RH ne peut qu’être confiné à un sentiment de solitude pesant. En particulier dans les petites entreprises, où il ne peut pas partager ces ressentis avec d’autres membres du service des ressources humaines :

“Avant d’être à mon poste de responsable RH, j’étais dans une entreprise plus grande – avec 600 salariés. Dans le service RH, on était douze et on formait une petite bulle à part. Ça nous permettait d’avoir des échanges normaux entre collègues, de rigoler le midi.

Mais, quand je suis arrivée dans une petite PME, je me suis retrouvée seule dans le service. Je ne pouvais parler avec personne, parce qu’on essayait de me soutirer des informations. On se demande toujours pourquoi les collaborateurs nous parlent : est-ce qu’il veulent des informations ? est-ce qu’ils m’apprécient vraiment ?”.

Cet isolement, inhérent à la fonction, se double d’une véritable solitude décisionnelle : trancher sur des sujets sensibles, tenir la ligne de la confidentialité, arbitrer entre équité et réalités opérationnelles – souvent sans miroir professionnel immédiat.

Ce paradoxe de proximité et de distance (être disponible pour tous tout en restant à la bonne distance) peut éroder la confiance en soi, alimenter le soupçon autour du rôle et, à terme, user la motivation.

Une charge sans fin et des moyens dérisoires

À cela s’ajoute l’ampleur colossale de la charge qui pèse sur les équipes RH. Faute de budget, la liste des missions ne cesse de s’allonger, jusqu’à créer une bureaucratie épuisante.

”Il y a la charge de travail qui est quand même assez exponentielle. C’est un métier formidable parce qu’il est polyvalent, mais en même temps, c’est un problème. Parce qu’on nous demande d’être experts en droit social, experts en paie, en recrutement, en formation, en QVT. Moi, j’étais toute seule, donc j’étais experte sur le document unique – c’est-à-dire en santé et sécurité au travail. C’est même moi qui gérais les extincteurs. Et du coup, tout ce qu’on ne sait pas faire, on se dit “C’est la RH qui va gérer”.

Considérés comme les “fourre-tout” de l’entreprise, les RH se retrouvent à jongler entre des missions aussi variées que la paie, la QVT, le droit social et le recrutement – autant de spécialités fusionnées en un seul poste. Cette polyvalence extrême se heurte presque toujours à un déficit de moyens et de reconnaissance.

“On nous demande de tout faire et de tout savoir faire parfaitement. Mais on n’a pas les moyens. Beaucoup de RH travaillent encore avec des Excel. Parce que le RH, c’est un centre de coût. Beaucoup de travail, peu de moyens.”

Les “mamans de l’entreprise” : une posture sacrificielle

Selon une étude Culture RH publiée en 2023, 84% des professionnels RH sont des femmes. Et s’il n’existe pas directement de lien entre la dimension genrée de la fonction et la posture de médiatrice qui lui incombe, Sandrine établit tout de même un constat étonnant.

“Le burn out est tabou pour les RH, parce qu’on a la figure de maman qui doit chouchouter tout le monde. Et la maman, elle doit être forte et tenir tout le monde – sauf que personne ne s’occupe d’elle, qu’on n’a pas le temps et que ce n’est pas notre rôle.”

La charge émotionnelle du poste, additionnée à celle du foyer (encore majoritairement assumée par les femmes) forme un cocktail à haut risque, propice aux RPS et au burn-out.

Selon un baromètre News RSE–Ifop, 66 % des femmes estiment que leur charge mentale professionnelle empiète sur leur vie personnelle, et 53 % jugent que la charge mentale domestique pèse sur leur travail. Combinée à l’attendu “rôle émotionnel” de la fonction, la profession RH se retrouve prise dans un engrenage d’usure et d’épuisement quasi inévitable.

”J’ai remarqué que les RH en France ont presque tous le même profil : la trentaine, des enfants, super dynamiques, qui veulent faire plein de choses, mais qui sont seuls. J’ai averti une de mes clientes quand j’ai vu les premiers signaux, et elle a fait un burn-out. Ce sont des choses que je vois tous les jours.”

Le “RH bashing” : la fonction bouc émissaire

Face à ce phénomène et le nombre de cas de burn out chez les RH, pourquoi le silence règne ? Comment expliquer que ce problème – qui affecte l’une des fonctions pivots des entreprises – ne soit pas saisi à bras le corps par les dirigeants ?

Pour Sandrine, la réponse est toute trouvée : “Le mépris qu’il y a pour la fonction est d’une violence. Les gens ne se tiennent plus. Et il y a de plus en plus de RH qui démissionnent. Parce que, au fond, je crois que – comme dans toutes les séries télé -, on adore détester le méchant. Et là, le méchant, c’est le RH. S’il n’y a plus de gaz dans l’immeuble, alors c’est la faute du RH”.

Si l’omerta fait loi, c’est parce que la figure même du RH fait office de bouc émissaire qui catalyse tous les problèmes en entreprise. Or, une figure détestée ne peut être qu’inaudible, trop occupée à reconquérir ses lettres de noblesse.

Sandrine en a d’ailleurs fait les frais très tôt dans sa carrière : “Moi j’ai eu ma première prise de conscience en alternance. Ça se passait super bien, mais un jour on m’a dit “mais tu te rends pas compte qu’on n’aime pas les RH ? En fait toi on t’aime bien, mais les RH on n’aime pas”. Et moi je ne m’en étais pas rendu compte parce que je faisais simplement mon métier”.

Ouvrir le débat : protéger ceux qui protègent les autres

“S’aider avant d’aider les autres”

Faire face (souvent seul) à la solitude, le manque de reconnaissance, et le mépris est une véritable parcours du combattant. Car le RH, dont la vocation consiste à accompagner les collaborateurs, en vient à réaliser une vérité frappante : il faut s’aider avant d’aider les autres.

Un déclic qu’a eu Sandrine à force d’usure :

“Au début, je faisais le tour de l’atelier tous les matins pour saluer tout le monde. C’était un peu le cahier des doléances. Ça me prenait deux heures. Et en plus, quand je sortais de l’atelier, sur la fin, je le sentais physiquement. Je ne me sentais pas bien, j’avais ce poids sur les épaules. Et après, j’ai arrêté parce que je n’y arrivais plus. Résultat : ils étaient encore plus frustrés parce que je n’étais pas là pour absorber tout ça.”

Pour rester utile, le RH doit poser des limites (dire non, cadrer sa disponibilité), s’équiper et ritualiser une véritable hygiène émotionnelle. Ce n’est ni du confort ni une faiblesse : c’est la condition d’une aide juste et durable.

Le freelance, une porte de sortie ?

Sandrine, elle, a décidé de faire un pas de côté pour s’en sortir. Pas se reconvertir, ni changer d’entreprise, mais adapter son mode de travail :

“Je me suis lancée en freelance. Je vais voir des dirigeants, j’expose ma manière de penser, et s’ils adhèrent, on travaille ensemble. Si ce n’est pas le cas, on ne travaille pas ensemble. Et c’est très bien, car je me retrouve avec des dirigeants qui ont vraiment envie de faire avancer les choses.”

Grâce au statut d’auto-entrepreneur, elle a pu retrouver du sens et de la liberté, le tout en choisissant des projets plus humains et alignés avec sa vision des ressources humaines :

“J’ai le temps de faire ce que j’aime. Plutôt que de devoir tout gérer – la paie, les 45 mails en attente, les collaborateurs -, je choisis mes projets. Par exemple, pour un client, j’ai fait un projet de gestion des compétences. Je suis allée dans l’atelier, et j’ai discuté avec tous les salariés pour refaire les fiches de postes avec eux. On a fait des réunions pour leur expliquer le projet. On a fait une enquête de salariés de bien-être pour mettre en corrélation tout ce qu’ils disaient avec tout ce que j’ai pu voir. Bref, on met en place de vrais plans d’action.”

Faire évoluer la culture d’entreprise

Pour celles et ceux qui ont encore l’énergie de faire bouger les lignes de l’intérieur, une voie décisive consiste à embarquer les directions. Trop souvent, on “a une RH parce qu’il en faut une”, sans comprendre le périmètre réel du métier, ses arbitrages, sa charge émotionnelle, ni la part de travail invisible qui maintient l’organisation en équilibre.

Prévenir le burn-out des professionnels RH commence donc par là : une compréhension fine du rôle et un partage clair des responsabilités.

“D’abord, il faut une prise de conscience côté direction. On embauche souvent une RH parce qu’il faut embaucher une RH, sans savoir ce qu’elle fait vraiment ni pourquoi.”

Évangéliser, oui, mais avec du concret. Ouvrir les portes, proposer des “vis ma vie” réguliers où un membre du comité de direction suit une journée RH au plus près du terrain.

Et surtout, mettre des mots sur la charge émotionnelle, la reconnaissance du temps passé à écouter, à amortir les chocs, à prévenir les incidents. Ce temps existe, et il doit être planifié et valorisé. Il en va de la santé de ceux qui préservent celle des autres.

Les chiffres du burn out chez les RH en France

Le nouveau visage des ressources humaines 2024, étude menée par Sage, indique que 84% des dirigeants RH ressentent fréquemment du stress, et 81% signalent se sentir épuisés. Ces chiffres montrent la haute pression subie par cette profession.

Même constat révélé par le baromètre des Editions Tissot de mars 2025 : 81% des RH interrogés se déclarent proches de l’épuisement : une confirmation que la situation ne s’améliore pas significativement.

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