Recruter sans CV, gadget ou révolution ?

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Le sacro-saint CV serait-il en voie de disparition ? Érigé depuis toujours comme l’outil du recruteur par excellence, il pourrait bien devenir accessoire. Et, alors que certaines entreprises ouvrent la voie et le relèguent au second plan, une question s’impose : recruter sans CV, utopie ou réalité en marche ?

Pourquoi les entreprises se détournent du traditionnel CV

Les limites d’un outil figé

Depuis longtemps considéré comme le Graal des équipes de recrutement, le curriculum vitae semble aujourd’hui avoir fait son temps. Car s’il donne à voir des trajectoires professionnelles, ce n’est qu’une vision parcellaire des parcours qu’il offre aux recruteurs. Certes, ces derniers en apprennent plus sur le cursus scolaire du candidat, ses précédentes expériences, les diplômes obtenus. Mais très peu sur ses soft skills.

Or, dans un monde du travail en pleine mutation, les compétences comportementales prennent désormais une importance qu’elles n’avaient pas jusqu’ici. Il n’est plus juste question de juger un candidat sur ses diplômes, mais sur ses compétences réelles, son potentiel à s’intégrer dans une équipe, ses aptitudes sociales. Tout ce qu’un simple bout de papier ne peut pas révéler.

L’obtention d’un diplôme dans une grande école est-elle nécessairement gage de qualité ? Un trou dans un CV est-il forcément signe de démotivation ? Un jeune diplômé tout fraîchement sorti d’études a-t-il moins de compétences qu’un senior ?

Ces jugements à l’emporte-pièce, souvent induits à la lecture d’un CV, peuvent conduire à écarter des profils moins classiques, parfois à la marge, dits “atypiques”. Voire à provoquer de la discrimination à l’embauche, en ne favorisant que des profils qui nous ressemblent.

Des candidats qui sont pourtant riches en compétences, qui ne passent pas le premier filtre de sélection.

En clair, le format rigide du CV laisse peu de place à la nuance, au récit personnel ou à la mise en contexte des parcours. Il ne dit rien des valeurs du candidat, de sa capacité à rebondir après un échec, de son intelligence émotionnelle ou de son envie d’apprendre.

Une inadéquation avec les nouveaux besoins RH

Selon une étude de la DARES menée en 2023, trois métiers sur quatre sont en tension forte ou très forte, ce qui représente un peu plus des deux tiers de l’emploi total. Face à cette réalité, le monde du travail change : les entreprises se disputent les meilleurs talents, les attentes côté candidats évoluent, et les RH doivent adapter leur manière de recruter.

Les hard skills ne règnent plus en maître : on cherche désormais des talents adaptables, curieux, qui ont la volonté d’apprendre. Les compétences comportementales, aussi appelées soft skills, deviennent des atouts différenciants. Autonomie, esprit critique, capacité d’adaptation, intelligence émotionnelle : autant de qualités désormais recherchées au même titre – voire davantage – que les compétences techniques pures.

Or, le CV traditionnel ne permet pas de valoriser ces éléments intangibles, pourtant cruciaux dans la réalité du terrain. Il peine à rendre compte d’un savoir-être, d’un sens du collectif, ou d’une envie de s’investir. Dans un contexte de pénurie de talents, les recruteurs n’ont plus le luxe de passer à côté de ces potentiels “hors cadre” simplement parce qu’ils ne cochent pas toutes les cases d’un parcours linéaire.

L’impact du numérique et de l’IA sur le tri des candidatures

La démocratisation massive des ATS dopés à l’IA pose de nouveaux problèmes. Car derrière ces outils de recrutement intelligents se cachent des algorithmes qui renforceraient les biais.

Ces algorithmes, bien qu’efficaces pour trier rapidement un volume important de candidatures, reproduisent souvent les biais humains qu’ils sont censés éliminer. Mal entraînés ou calibrés selon des critères trop rigides, ils favorisent des profils “standardisés” – avec un certain type de formation, une certaine tournure de phrase, ou une chronologie sans faille.

Résultat : les candidats les plus originaux, les plus créatifs, ou simplement ceux dont le parcours sort des sentiers battus, sont écartés dès les premières secondes.

L’automatisation du recrutement, loin d’être une garantie d’objectivité, pousse donc à repenser l’outil d’entrée : et si le problème venait justement du CV ? Ce document, fait pour répondre à un système, est-il encore pertinent à l’heure où l’on cherche des personnalités, des potentiels, des profils capables de grandir et d’évoluer dans un environnement mouvant ?

Recruter sans CV : quels avantages ?

Vers des profils plus diversifiés

Sans CV, les candidats à qui on fermait la porte dès la présélection des profils peuvent désormais avoir leur chance. Il n’est plus question de valoriser uniquement les grands diplômes ou les écoles réputées, mais de permettre à des candidats plus atypiques d’accéder aux entretiens. Autodidactes, personnes en reconversion, talents sans diplômes : en allant au-delà des filtres traditionnels, on fait la part belle à des profils différents, qui sont tout aussi compétents.

Cette approche constitue par ailleurs un levier puissant pour lutter contre les discriminations à l’embauche – qu’elles soient liées au genre, à l’âge ou encore à l’origine. Ce faisant, les entreprises ouvrent la voie à de nouvelles idées – un prérequis essentiel pour favoriser l’innovation et le changement.

Mettre en avant les soft skills

À l’heure où les compétences techniques deviennent vite obsolètes, les entreprises privilégient de plus en plus les compétences comportementales (soft skills), des qualités qui perdurent dans le temps. Résolution des problèmes, capacité à gérer les conflits, esprit d’équipe, intelligence émotionnelle : autant de traits de caractère qui feront la différence face à une automatisation croissante.

Attirer les talents “invisibles”

Les candidats invisibles, ce sont ceux qui passent sous les radars des processus de recrutement traditionnels. Ces profils qui ont l’expérience requise sur le poste, mais pas forcément le bagage universitaire ou les diplômes qui vont avec. En recrutant sans CV, vous les attirerez plus facilement, puisqu’ils ne seront pas découragés par des filtres qui les écartent d’office.

Comment recruter sans CV ?

Des méthodes alternatives pour évaluer les compétences

Comment les entreprises qui recrutent sans CV s’assurent-elles des compétences de leurs candidats ? Sans résumé du parcours, sans diplômes et retour sur les expériences professionnelles, comment peuvent-elle attester qu’un profil correspond au poste recherché ?

La réponse est simple : elles évaluent autrement. Plutôt que de présélectionner les profils avec le filtre du CV, elles se tournent vers des méthodes de recrutement alternatives. Une approche en apparence anodine, mais qui induit en réalité un changement de paradigme profond.

Les mises en situation

C’est l’une des méthodes les plus prisées par les entreprises qui veulent se détourner du CV. La méthode de recrutement par simulation (MRS) repose sur l’identification des compétences nécessaires à un poste spécifique. À partir de ces aptitudes seront construits des exercices proposés aux candidats.

Ils seront projetés dans une situation réelle, ce qui permet aux recruteurs d’étudier leur comportement, leurs réflexes et leur potentiel sans se baser uniquement sur le parcours ou le diplôme.

Par exemple, pour un poste de développeur web, un candidat peut être invité à corriger un bug dans une application ou à proposer une amélioration sur une interface utilisateur existante. Pour un métier de community manager, la mise en situation peut consister à rédiger une série de publications pour les réseaux sociaux en réponse à une crise fictive.

Ces mises en situation ne se limitent pas au numérique : un agent de fabrication peut être évalué sur sa capacité à assembler une pièce en suivant un plan technique.

Dans certains cas, ces exercices sont regroupés dans ce qu’on appelle un assessment center. Il s’agit d’une session collective ou individuelle, où plusieurs candidats participent à une série d’épreuves standardisées : études de cas, jeux de rôle, présentations orales, tests de logique ou encore entretiens structurés.

Le job dating

Inspirée du speed dating, cette méthode est simple mais efficace : les candidats viennent sans CV, se présentent, et discutent avec les recruteurs. Un cadre d’échange informel, qui séduit particulièrement la Gen Z, et permet aux talents de faire une première impression hors des entretiens classiques.

Ici, c’est le savoir-être qui prime sur les hard skills, les recruteurs s’attachant davantage aux soft skills qu’aux diplômes.

La cooptation

Et si, plutôt que de se fier à un document standardisé, les entreprises faisaient confiance à leurs collaborateurs pour dénicher les talents de demain ? C’est tout le principe de la cooptation, une méthode de recrutement aussi vieille que le monde, mais qui revient en force dans un contexte où l’authenticité et la recommandation humaine reprennent de la valeur.

La cooptation consiste à demander à un salarié de recommander une personne de son entourage professionnel ou personnel pour un poste à pourvoir. Une démarche simple en apparence, mais qui transforme en profondeur l’approche du recrutement.

Car ici, le CV devient presque accessoire : ce qui prime, c’est la confiance portée à la personne qui recommande. Le collaborateur, garant de la culture de l’entreprise, agit comme un filtre humain, intuitif, souvent plus fin qu’un algorithme ou qu’un logiciel d’analyse. Il connaît les valeurs de la structure, les attentes de l’équipe, les compétences réellement nécessaires pour le poste. Et surtout, il engage sa propre crédibilité.

Les tests d’aptitudes

Dans un processus de recrutement sans CV, les tests d’aptitudes permettent d’introduire une forme d’objectivité tout en s’affranchissant des parcours classiques. Ils offrent aux candidats l’opportunité de démontrer concrètement leurs compétences, sans être jugés à travers le prisme de leur formation ou de leur expérience passée.

Ces tests peuvent prendre plusieurs formes selon le poste visé : logique, résolution de problèmes, raisonnement verbal ou numérique, mémoire, créativité… Leur but ? Mesurer le potentiel cognitif, la capacité d’apprentissage, ou encore l’intelligence pratique du candidat.

Dans cette logique, des solutions d’évaluation comme Voice permettent d’identifier les soft skills et le potentiel des candidats, au-delà des diplômes et des expériences passées.

Vers un futur sans CV ?

Dans un monde où l’IA rebat les cartes du monde de l’emploi, qu’adviendra ce petit bout de papier, le CV, autrefois sésame ultime des carrières ?

Sera-t-il relégué au rang de vestige, dépassé par des algorithmes scrutant nos compétences réelles en temps réel ?

Ou bien connaîtra-t-il une métamorphose, devenant un passeport numérique enrichi, dynamique, interactif, où l’humain devra apprendre à raconter sa valeur bien au-delà des lignes figées d’un document ?

L’enjeu n’est plus seulement de lister des expériences, mais de traduire ce que les machines ne voient pas toujours : la personnalité, la créativité, l’intuition. Peut-être alors que le CV de demain ne sera plus un simple bout de papier, mais le miroir intelligent d’un parcours vivant.

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