Les cas pratiques lors de processus de recrutement sont devenue monnaie courante, en particulier dans certains secteurs. Mais, face à des entreprises qui exigent des études de marché complètes ou des campagnes de communication détaillées, où tracer la ligne ? Comment s’assurer que le cas pratique ne soit pas une forme de travail dissimulé ? Décryptage.
Le cas pratique : vedette du recrutement
En 2025, les études de cas font désormais figure de grand classique en entretien d’embauche. Rédaction d’articles, création de campagnes social media, travail sur la notoriété et l’image de l’entreprise, analyse de la rentabilité d’un projet d’investissement : il existe autant de cas pratiques que d’entreprises.
Pour les recruteurs, leur valeur n’est plus à prouver – le cas pratique révèle le potentiel du candidat et permet de déterminer s’il “fit” avec ce qui est attendu de lui sur un poste. Quitte parfois à lui demander d’y passer des heures, voire des jours. Son investissement se mesure au livrable, faisant parfois pencher la balance en sa faveur ou sa défaveur.
Côté candidats, en revanche, les avantages sont plus difficiles à percevoir. Une simulation in real life de ses missions dans l’entreprise pour savoir si le job lui plaît vraiment ? Un exercice qui ne peut que l’absorber puisqu’il est passionné par son métier ? La plupart des candidats s’y plient par obligation, pas toujours certains d’y trouver leur compte.
Entre cas pratique et travail dissimulé, la frontière est fine
Le problème, c’est que toutes les études de cas ne se valent pas : alors qu’une création de post Instagram requiert quelques heures, attendre d’un candidat qu’il refasse la charte graphique toute entière de l’entreprise semble démesuré.
D’autant que certains candidats soupçonnent quelques sociétés d’utiliser leur travail à leur compte, voire parfois pour leurs clients. Une stratégie dénoncé par plusieurs jeunes internautes sur les réseaux sociaux, qui alertent des pratiques malhonnêtes de ces entreprises.
La ligne est fine entre cas pratique et travail dissimulé, ce qui incite candidats ET recruteurs à redoubler de vigilance lors des entretiens d’embauche.
L’angle mort juridique du cas pratique
Sur le papier, les résultats des cas pratiques ne doivent pas être utilisés à but professionnel, auquel cas l’on tombe dans la catégorie du travail dissimulé. Encadré par l’article L8221-1 du Code du travail, le terme se réfère à “tout travail dissimulé sous forme de travail non déclaré ou rémunéré”.
Un cas pratique qui nécessite une réelle production de travail de la part du candidat, qui est ensuite utilisé par l’entreprise sans rémunération, pourrait donc potentiellement être assimilé à du travail dissimulé, ce qui est illégal.
Mais, dans les les faits, l’exercice – qui devrait plutôt s’appeler “essai professionnel” d’un point de vue juridique – n’est pas vraiment encadré par la loi.
Si le candidat doit réaliser le cas pratique “dans des conditions réelles” mais en dehors du cadre de travail habituel, rien ne lui garantit en revanche que le livrable ne sera pas exploité par l’entreprise.
En cas de litige, il revient donc au candidat de prouver que son travail a été utilisé sans compensation. Un combat qui a des allures de David contre Goliath lorsqu’un jeune talent souhaite s’attaquer à une entreprise.
Comment protéger son travail ?
Le flou juridique qui entoure la propriété intellectuelle des cas pratiques rend la protection du travail du candidat particulièrement difficile, mais pas impossible.
En France, le Code de la propriété intellectuelle (CPI) reconnaît que toute création originale – qu’il s’agisse d’un texte, d’un design, d’une stratégie ou d’une analyse – appartient à son auteur dès l’instant où elle est matérialisée.
Autrement dit : le candidat reste titulaire des droits d’auteur sur le contenu qu’il produit, même dans le cadre d’un processus de recrutement.
Pour se prémunir, le candidat peut adopter plusieurs réflexes simples :
Protéger la date de création : dater et signer le travail, s’envoyer le fichier par e-mail, utiliser un service d’horodatage, ou le déposer sur une plateforme de dépôt d’œuvres (INPI, Société des Auteurs).
Mentionner explicitement la propriété du contenu dans le livrable :
“Ce document est une œuvre protégée par le Code de la propriété intellectuelle. Sa reproduction ou utilisation, totale ou partielle, sans autorisation écrite de son auteur est interdite.”
Transmettre une version partielle ou allégée du livrable lors du recrutement, et proposer d’approfondir lors d’un entretien.
Conserver les échanges (e-mails, briefs, consignes), qui peuvent servir de preuve en cas de litige.
Et si l’entreprise exploite le travail du candidat sans son accord, celui-ci peut :
- Adresser un courrier recommandé pour exiger le retrait ou la cessation d’utilisation du contenu.
- En cas de refus, saisir le tribunal judiciaire (pôle propriété intellectuelle), en invoquant la contrefaçon (article L335-3 CPI) ou le travail dissimulé (article L8221-1 Code du travail) si l’exploitation est avérée.
Le cas pratique : un exercice qui renforce les inégalités ?
Ces pratiques soulèvent une question plus large, au-delà des abus de certaines entreprises : tous les candidats ont-ils les mêmes moyens de consacrer plusieurs heures à un exercice gratuit ?
Les profils les plus précaires, les freelances, les jeunes parents, ou les personnes déjà en poste se retrouvent souvent désavantagés.
En exigeant de la part des candidats de réaliser des exercices chronophages, les entreprises peuvent faire fuir les meilleurs profils, découragés par l’investissement qui leur est demandé. Et si ces derniers se trouvent en processus de recrutement avec plusieurs entreprises, il y a fort à parier qu’ils miseront sur celles qui respectent leur temps.
À l’heure où l’on valorise l’équité et la transparence dans le recrutement, le cas pratique mériterait un encadrement plus clair, voire – pourquoi pas – une rémunération symbolique lorsque la charge de travail dépasse un certain seuil.