Microsoft licencie 6 000 employés : l’IA porte le chapeau

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L’IA, ce n’est plus que des débats enflammés sur LinkedIn qui tentent de prédire un futur dystopique où l’humain se ferait remplacer. Ça ne relève plus du domaine de la fiction, de l’imaginaire collectif où le bien est humain et le mal est robotisé. Non : les conséquences de la démocratisation de l’IA se déroulent déjà sous nos yeux sans qu’on en prenne la réelle mesure. Mais ne sont pas celles qu’on croit. Entre fausse menace et excuse, ne serait-elle pas en fait… un bouc émissaire tout désigné ?

Des plans de licenciements massifs en entreprise

En mai dernier, Microsoft annonçait prévoir le licenciement de 6 000 salariés, l’équivalent de 3% des effectifs de l’entreprise. La raison : “positionner au mieux l’entreprise pour réussir sur un marché dynamique”. Une annonce qui en a surpris plus d’un au regard des profits records enregistrés par le géant de l’informatique américain (un bénéfice net de 25,8 milliards de dollars sur le dernier trimestre).

Cette nouvelle intervient dans un contexte de préoccupations croissantes quant à l’impact de l’IA sur le marché de l’emploi, et est loin d’être un cas isolé… En 2023, IBM avait déjà marqué les esprits en annonçant le licenciement de 8 000 personnes, en particulier dans le service des ressources humaines. La même année, en janvier 2023, Google s’était aussi séparé de 6% de ses effectifs, soit 12 000 personnes.

Et plus récemment, on peut citer le groupe Meta, qui a licencié 3 600 employés en janvier dernier.

Le constat est donc sans appel : un phénomène est en marche. Et pour beaucoup, l’IA en serait le principal responsable. De plus en plus performante, elle s’immiscerait dans tous les recoins du marché de l’emploi, annonçant l’obsolescence programmée de millions de postes.

Mais à bien y regarder, l’IA ne serait-elle pas surtout le bouc émissaire idéal d’une stratégie économique bien rodée ?

L’IA : ce coupable qui nous arrange bien

Un alibi technologique

Derrière les discours fatalistes sur un présupposé remplacement de l’humain par l’intelligence artificielle se cacheraient en fait d’autres raisons pour expliquer ces plans de licenciements massifs. Comment expliquer sinon que, parmi les collaborateurs remerciés par Microsoft en mai 2025, figure la directrice de l’IA ? Une ironie qui interroge.

En réalité, d’autres dynamiques sont à l’œuvre, bien plus terre-à-terre mais moins médiatisées.

D’une part, une restructuration profonde du secteur technologique, encore marqué par une décennie de surembauche. Les licenciements permettraient en réalité de corriger une anticipation un peu trop ambitieuse de la croissance par certaines entreprises.

D’autre part, il s’agit d’une manière plus ou moins dissimulée de redynamiser la structure de ces organisations. Car, en se séparant des multiples couches de gestion typiques des grands groupes internationaux, les entreprises incitent les équipes à devenir plus agiles.

Derrière les formules toutes faites sur “l’optimisation des ressources” ou la “recherche d’efficacité opérationnelle” se cache en réalité un objectif bien connu : faire plus avec moins. En réduisant les effectifs, les entreprises entendent réinjecter de la souplesse dans leur fonctionnement. On parle alors d’agilité, de “culture produit”, de “squads autonomes”

Un jargon qui peine à masquer une tendance plus prosaïque : alléger les structures pour aller plus vite, quitte à sacrifier des compétences au passage.

L’innovation comme écran de fumée

Ce que révèle cette vague de licenciements, c’est donc moins une révolution technologique… qu’un ajustement stratégique et économique. L’IA, dans ce contexte, sert tout au plus d’excuse commode.

Elle permet de justifier des décisions impopulaires tout en projetant une image d’innovation et d’adaptation “forcée”. Une couverture idéale, en somme, pour des coupes budgétaires dictées par des logiques financières bien connues.

Le cas IBM

Un recul stratégique : l’ère des licenciements

Reculer pour mieux sauter. C’est ce qu’a compris l’un des pionniers du monde informatique après avoir initié une vague de licenciements en 2023. La raison évoquée pour justifier le départ de milliers de salariés – dont de nombreux collaborateurs dans les ressources humaines ? Bingo : l’IA.

Un retournement de situation : l’IA comme moteur de recrutement

Contre toute attente, quelques années plus tard, revirement inattendu : l’entreprise lance un vaste plan de recrutement. Et, une fois encore, l’IA en est la cause… ou plutôt le moteur. Car après avoir investi dans des outils d’IA pour gagner en efficacité, IBM recrute désormais sur des postes à forte valeur ajoutée : ingénieurs, commerciaux, experts marketing,…

Alors, l’intelligence artificielle est-elle vraiment destructrice d’emplois ? Ou serait-elle, au contraire, génératrice de nouvelles opportunités ? Ce cas illustre surtout une transformation en profondeur du monde du travail : en déchargeant les équipes des tâches administratives lourdes, l’IA permet de se recentrer sur des fonctions stratégiques, à haute valeur humaine.

Une mutation du travail à l’ère de l’automatisation

Le cas IBM cristallise donc tous les questionnements autour de l’avenir du travail à l’ère de l’IA. Selon le dernier rapport du Forum économique mondial, près de 92 millions de postes pourraient être supprimés d’ici 2030 à cause de l’automatisation. Mais, dans le même temps, elle pourrait générer la création de 170 millions de postes.

Ce paradoxe révèle une vérité essentielle : l’IA ne remplace pas l’humain, elle le redirige vers des fonctions à plus forte valeur stratégique, émotionnelle ou créative. Encore faut-il accompagner cette transition par des politiques de formation, de reconversion et d’acculturation aux nouvelles technologies.

L’importance de protéger l’humain. Une barrière : les RH

Face à l’automatisation croissante et aux mutations profondes du monde du travail, les ressources humaines se trouvent à un carrefour décisif. Longtemps cantonnées à des fonctions administratives, elles ont aujourd’hui l’opportunité – et la responsabilité – de redevenir ce qu’elles n’auraient jamais dû cesser d’être : les garantes de l’humain au sein l’entreprise.

Car dans un monde où tout s’accélère, où les décisions économiques peuvent faire disparaître des milliers de postes en seulement quelques clics, les RH sont la barrière de protection, le filet de sécurité, la voix qui peut encore dire non quand tout pousse à dire oui. Oui à l’efficacité, oui à la rentabilité, mais pas au détriment du sens, du lien et de la valeur humaine.

C’est précisément en s’appuyant sur l’IA – non pas comme une menace, mais comme un allié – que les RH peuvent réinventer leur rôle. En se déchargeant des tâches opérationnelles, elles peuvent consacrer leur énergie à ce qui compte : accompagner les salariés, anticiper les évolutions, piloter les transformations avec lucidité et bienveillance.

En finir avec le faux procès

Il est grand temps de désacraliser l’IA. Elle n’est ni un miracle ni un monstre. Mais simplement un outil technologique, un levier sur lequel s’appuyer, une ressource. Intégrer cette logique, c’est anticiper les changements en toute âme et conscience, de manière mesurée, et sans sacrifier ce qui est – et doit rester – au coeur de l’entreprise : l’humain.

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