Le chômage progresse doucement en France sur le dernier trimestre. Une hausse minime sur le papier, mais qui marque un vrai changement de cap : le marché de l’emploi se tend, les seniors peinent à retrouver du travail, et les jeunes profitent d’un sursis fragile. Décryptage.
Un frémissement qui change la tendance
Selon l’Insee, le taux de chômage atteint 7,7 % au troisième trimestre 2025. Sur trois mois, le mouvement semble limité. Mais sur un an, le signal est nettement plus préoccupant : +0,3 point et, depuis janvier, +0,4 point. Un niveau qu’on n’avait plus observé depuis l’été 2021.
Autrement dit : sur le court terme, ça bouge peu. Sur la trajectoire, ça se dégrade. Et ce changement de dynamique commence déjà à peser sur l’équilibre du marché de l’emploi.
“Sur le trimestre, c’est quasi-une stabilité. Mais sur un an, c’est une trajectoire haussière. Cette trajectoire tranche avec la période de repli entre fin 2015 et fin 2022”, résume Vladimir Passeron, chef du département de l’emploi et des revenus d’activité à l’Insee.
Qui est le plus touché par cette hausse du chômage ?
Derrière le chiffre global, la remontée du chômage ne frappe pas tout le monde au même endroit. Et c’est justement là que le signal devient intéressant : ce sont surtout les actifs en “plein cœur” de carrière et les seniors qui voient la situation se tendre.
Les 25-49 ans
C’est la tranche d’âge la plus concernée par la dégradation, avec une hausse de 0,5 point sur un an. Le chômage y progresse nettement, signe que le marché se refroidit aussi sur les profils “cœur de cible” : ceux qui, il y a encore quelques mois, pouvaient souvent bouger plus facilement et négocier davantage.
Concrètement, cela se traduit par plus de concurrence sur les postes, des process qui s’allongent et une sélectivité accrue, y compris sur des métiers où la tension semblait durable.
Les seniors
Chez les 50 ans et plus, le taux de chômage reste inférieur à celui des autres classes d’âge… mais il remonte (0,4 point sur un an), et c’est un signal RH fort. Parce que dès que la conjoncture se durcit, les seniors sont souvent les premiers à subir un allongement des délais de retour à l’emploi : reconversions plus difficiles, discriminations persistantes, arbitrages économiques côté entreprises.
Autrement dit : même une hausse modérée dans cette tranche d’âge peut avoir un effet durable sur la dynamique de carrière et sur le volume de chômage “long”.
Les jeunes
À l’inverse, le chômage des jeunes recule légèrement sur la période (0,8 point sur un an). Bonne nouvelle en apparence, mais à nuancer : ce mouvement peut rester fragile si l’alternance ralentit et si les entreprises réduisent les recrutements “tremplins”. Et surtout, cette baisse moyenne peut masquer des écarts importants selon les profils, les secteurs et le niveau de qualification.
Femmes / hommes
Autre point d’attention : la progression du chômage est plus marquée chez les femmes que chez les hommes (+0,6 point sur l’année pour les femmes, contre +0,1 pour les hommes) . Ce différentiel rappelle à quel point la conjoncture peut accentuer des fragilités déjà présentes : segmentation des métiers, temps partiel subi, contraintes de disponibilité, ou exposition à certains secteurs plus cycliques.
Pourquoi maintenant ? Trois explications qui se combinent
Un retournement du chômage n’a presque jamais une seule cause. Ici, ce sont trois mouvements qui se superposent et finissent par faire remonter la courbe.
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Des entreprises plus prudentes
Quand la visibilité économique se réduit, les recrutements deviennent plus “au compte-gouttes” : on diffère certains remplacements, on étale les ouvertures de postes, on arbitre plus durement. Pas besoin d’une vague de licenciements pour que le chômage monte : il suffit que les embauches ralentissent.
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Un effet de contexte lié aux politiques publiques
La réforme du RSA change le cadre : accompagnement renforcé, obligations, inscriptions, parcours… Selon les territoires et la mise en œuvre, cela peut influencer qui est compté, quand, et comment dans les statistiques du marché du travail. Sans en faire l’explication unique, c’est un élément qui pèse dans la lecture des chiffres.
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Une dynamique d’entrée dans l’emploi moins fluide
L’alternance a longtemps joué le rôle d’accélérateur pour l’insertion. Quand les aides à l’apprentissage diminuent, la mécanique peut perdre en vitesse : moins de contrats, moins de portes d’entrée, moins de “premières expériences” qui sécurisent un parcours. Et quand l’entrée se grippe, l’impact se voit vite, surtout chez les plus jeunes.
Ce que ça change concrètement : un rapport de force qui bouge
Quand le chômage remonte, même légèrement, le marché tend à se rééquilibrer. Et ce rééquilibrage se ressent rapidement :
- Côté candidats : davantage de concurrence sur les postes, plus d’étapes de sélection, une négociation salariale parfois moins fluide, et une pression accrue sur les profils les plus exposés (jeunes, reconversions, seniors).
- Côté entreprises : un sourcing parfois plus simple qu’en période de pénurie, mais aussi un risque : croire que “tout redevient facile” et relâcher l’expérience candidat. Les marques employeur qui continuent d’investir (clarté des process, feedback, transparence) prennent de l’avance.
En clair : le marché se tend pour les candidats, et l’avantage repasse progressivement du côté des employeurs – sans pour autant effacer les tensions sur certains métiers en pénurie.
Et après ? Une tendance appelée à durer
Selon Eric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision à l’OFCE, la tendance pourrait se prolonger ”au moins jusqu’à fin 2026”.
Si ce scénario se confirme, la hausse du chômage ne serait donc pas un simple accident trimestriel, mais un nouvel environnement avec lequel il faudra composer.
Quelles implications pour les RH en 2026 ?
Si la trajectoire se confirme, trois réflexes RH peuvent faire la différence :
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Repenser l’attractivité sans attendre la pénurie
Un marché plus favorable aux entreprises ne doit pas empêcher de soigner sa marque employeur : au contraire, c’est le moment de consolider les fondamentaux (promesse, transparence, parcours de recrutement, onboarding).
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Muscler les dispositifs seniors
Prévention de l’usure, formation ciblée, aménagements, mobilité interne, passerelles : les seniors ne sont pas “un sujet RSE”, c’est un sujet de performance et de continuité des compétences.
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Sécuriser l’entrée des jeunes
Alternance, tutorat, montée en compétences rapide, premières missions bien cadrées : quand l’accès se durcit, les entreprises qui gardent une porte d’entrée claire attirent des profils motivés… et parviennent à fidéliser plus facilement la Gen Z.