RH et profils neuroatypiques : repenser l’inclusion en entreprise

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Et si vous passiez à côté de 20 % des talents ?

Autisme, TDAH, troubles « dys »… Les personnes neuroatypiques représentent aujourd’hui entre 15 et 20 % de la population mondiale. Pourtant, elles restent souvent en marge des processus de recrutement traditionnels.

Le paradoxe ? Ces profils, parfois déroutants pour les codes habituels de l’entreprise, disposent de compétences clés : créativité, pensée en arborescence, capacité d’hyperconcentration, approche originale des problèmes…

Alors, comment repérer ces talents souvent invisibles ? Et surtout, comment créer un environnement de travail où leur potentiel peut pleinement s’exprimer ?

Zoom sur un enjeu stratégique pour l’inclusion et la performance : la neuroatypie au cœur du monde professionnel.

Profils neuroatypiques dans le monde du travail : qui sont-ils ?

Une diversité de profils neuroatypiques

Mais que signifie ce mot dont vous avez certainement déjà entendu parler ? Seulement introduit depuis 2024 dans le dictionnaire du Petit Robert, la neuroatypie désigne des personnes dont le fonctionnement neurologique diffère de la norme. Contrairement aux « neurotypiques », ils perçoivent, analysent et interagissent avec le monde d’une manière singulière.

Cette différence peut concerner des profils variés :

  • les personnes autistes (avec ou sans trouble du spectre),
  • les personnes avec un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH),
  • les troubles « dys » : dyslexiques, dyspraxiques…
  • celles ayant un haut potentiel intellectuel (HPI) ou émotionnel (HPE) – bien que cela suscite des débats.

La bipolarité et les TOC sont parfois associés à la neuroatypie, bien qu’ils relèvent à proprement parler de troubles psychiatriques. Leur inclusion dans cette catégorie fait encore débat, faute de consensus clair sur leur pertinence.

Neuroatypie et souffrance au travail

Selon un sondage mené par Harris Poll, 60 % des personnes neurodivergentes n’osent pas évoquer leur situation au travail, par crainte de freiner leur évolution professionnelle. Une peur malheureusement justifiée, puisqu’un quart des salariés neuroatypiques ayant formulé une demande d’aménagement ont été licenciés ou rétrogradés à la suite de leur démarche.

Ces chiffres révèlent les difficultés persistantes des entreprises à intégrer pleinement la diversité cognitive. En cause : un manque de connaissances sur le sujet, une absence de sensibilisation, ou parfois une culture d’entreprise encore trop rigide face à l’altérité.

Un phénomène qui commence tout doucement à changer, et qui doit être pris en main par les RH, garants de l’inclusion de la diversité en entreprise.

Un vivier de talents sous-estimé : les atouts des profils neuroatypiques

Souvent perçus négativement, les profils neuroatypiques possèdent en fait une palette de compétences sous-exploitées dans le monde de l’entreprise, qui peuvent devenir de véritables moteurs de performances :

  • Créativité et pensée « hors-cadre » : les neuroatypiques traitent l’information différemment, ce qui permet d’aborder certains sujets sous un nouvel angle. La pensée en arborescence, caractéristique de certaines neuroatypies, mène naturellement à l’innovation.
  • Hyper-adaptabilité : confrontés dès leur plus jeune âge à la nécessité de s’adapter à un environnement qui ne leur est pas toujours favorable, les profils neuroatypiques développent une flexibilité cognitive et comportementale remarquable. Cette capacité d’adaptation leur permet de s’ajuster rapidement aux changements, aux imprévus ou à des environnements de travail variés.
  • Approche analytique, rigueur et mémoire exceptionnelle : de nombreux profils neuroatypiques se distinguent par une attention extrême aux détails, une capacité à identifier des schémas complexes, et une mémoire hors norme. Ces qualités en font des collaborateurs particulièrement efficaces dans des domaines demandant précision, fiabilité et constance : data, ingénierie, finance, informatique…
  • Honnêteté, loyauté : les neuroatypiques ont souvent une éthique de travail très marquée. Leur besoin de cohérence et de vérité se traduit par une franchise naturelle, une fidélité à leurs engagements, et une loyauté forte envers les projets ou les équipes dans lesquelles ils se sentent respectés. Ce sont des collaborateurs fiables, engagés et souvent très investis.

Identifier et accompagner les profils neuroatypiques : rôle et vigilance des RH

Les RH sont en première ligne de la politique d’inclusion de la diversité en entreprise. Bien qu’il ne soit pas toujours facile de repérer les profils issus de la neurodiversité, il existe toutefois des manières de repenser les processus de recrutement et la gestion des talents pour favoriser un environnement de travail véritablement inclusif.

Valoriser les profils neuroatypiques lors du recrutement

  • Adapter les processus de recrutement

Pour ne plus exclure ces profils qui sont souvent écartés par des processus de recrutement standardisés, il convient dans un premier temps d’adapter les méthodes d’évaluation en valorisant les compétences réelles, les parcours atypiques et le potentiel, plutôt que de se limiter aux seuls diplômes ou expériences classique. On privilégiera par exemple les mises en situation et l’évaluation des soft skills plutôt que des entretiens uniquement basés sur les compétences techniques.

  • Penser inclusivité dès l’annonce

L’inclusion de la diversité commence dès l’offre d’emploi. Indiquer clairement que vous êtes ouvert à la diversité, c’est déjà envoyer un signal positif aux profils neuroatypiques. À l’inverse, des annonces trop rigides ou trop formatées peuvent les dissuader de postuler. Privilégiez un langage simple, direct et bienveillant. Mettez en avant votre capacité à adapter les missions ou l’environnement de travail en fonction des besoins. Une annonce inclusive, c’est avant tout une invitation sincère à chacun de se sentir légitime.

  • Repérer sans stigmatiser

Il est important de pouvoir repérer certains signes de neuroatypie – comme des difficultés à soutenir le regard, une communication atypique ou une gestion émotionnelle différente – sans pour autant tomber dans les stéréotypes ou porter des jugements hâtifs. Évitez d’interpréter ces comportements comme un manque de motivation ou d’aptitude. Formez les recruteurs à identifier leurs biais inconscients afin qu’ils puissent évaluer les candidatures de manière plus objective et bienveillante.

  • Encourager un climat de confiance pendant le processus de recrutement

Créer un environnement serein et sécurisant permet aux candidats neuroatypiques de se sentir suffisamment à l’aise pour, s’ils le souhaitent, divulguer leur particularité. Cela passe par une posture d’écoute active, des questions ouvertes, et une attitude non jugeante. Proposez en amont des aménagements éventuels pour les entretiens (temps de réponse prolongé, support écrit, pièce calme,…). La transparence sur votre volonté d’adapter le processus peut faire toute la différence.

Encadrer les profils neuroatypiques en entreprise

Recruter des profils neuroatypiques est une première étape essentielle. Mais pour qu’ils puissent s’épanouir, contribuer pleinement et rester engagés, un accompagnement adapté est indispensable. Cela implique une transformation profonde des pratiques managériales, de la politique RSE, de la culture d’entreprise et des outils RH.

  • Instaurer une culture d’écoute et de bienveillance

    Le rôle des RH est ici central : créer un climat de confiance où la parole peut circuler librement, sans jugement ni tabou. Cela implique d’encourager l’expression des besoins spécifiques, d’instaurer des points réguliers d’écoute individuelle, et de mettre en place des relais (référents handicap, cellules d’écoute, psychologues du travail…).

  • Observer les signaux faibles pour mieux prévenir

    Les profils neuroatypiques peuvent parfois exprimer leur mal-être de manière indirecte ou atypique : isolement progressif, surengagement, réactions émotionnelles inattendues… Une vigilance particulière sur ces signaux faibles permet d’intervenir rapidement et d’adapter l’environnement avant que le malaise ne s’aggrave. L’objectif n’est pas de pathologiser, mais de proposer un cadre souple et protecteur.

  • Former les managers, les RH et la direction

    L’inclusion durable passe par la montée en compétences de tous les acteurs de l’entreprise. Sensibiliser à la neurodiversité, déconstruire les idées reçues, comprendre les spécificités de fonctionnement et de communication : autant de clés pour éviter les malentendus et renforcer la qualité du management. Des formations sur les biais cognitifs, la gestion inclusive, ou encore la régulation émotionnelle peuvent transformer en profondeur les pratiques d’encadrement.

  • Adapter l’organisation du travail

    Horaires souples, espaces calmes, communication écrite renforcée, outils visuels… Autant d’aménagements simples qui peuvent considérablement améliorer la qualité de vie au travail des personnes neuroatypiques, tout en bénéficiant à l’ensemble des équipes.

  • Co-construire les solutions

    Plutôt que d’imposer des mesures standardisées, il est souvent plus efficace de co-construire avec la personne concernée les ajustements les plus pertinents à son fonctionnement. Cette démarche collaborative renforce l’autonomie, la confiance et l’engagement. Le bon réflexe : poser une question simple mais puissante – « De quoi avez-vous besoin pour travailler au mieux ? ».

Ces entreprises qui s’engagent : bonnes pratiques et exemples inspirants

Le changement est en marche. De plus en plus conscientes de la nécessité de refléter la richesse de la société dans leurs équipes, les entreprises s’engagent enfin pour l’inclusion de la diversité. Parmi les pionnières, quelques exemples inspirants, qui montrent la voie à suivre pour toutes les autres.

La Neuroteam d’Orange

En 2021, Orange lance le programme « Neuroteam » avec une ambition forte : valoriser la richesse de la neurodiversité au sein de l’entreprise. Cette initiative s’inscrit pleinement dans une politique RSE résolument engagée, et porte une vision inclusive du travail.

Grâce à une approche pluridisciplinaire, Neuroteam vise à faciliter le recrutement, l’intégration et l’épanouissement professionnel des personnes neurodivergentes (troubles du spectre autistique, troubles dys, TDAH…).

Une démarche audacieuse et humaine, incarnée par un Manifesto qui affirme haut et fort l’engagement d’Orange pour une entreprise plus ouverte, plus diverse, plus juste.

Dell et son programme de recrutement consacré aux personnes autistes

Et si l’on repensait complètement l’entretien d’embauche traditionnel ? C’est le pari audacieux de Dell, qui a lancé un programme de recrutement spécifiquement pensé pour les personnes autistes.

Imaginé en collaboration avec Neurodiversity in the Workplace, ce dispositif vise à lever les barrières souvent invisibles qui peuvent empêcher certains candidats de révéler pleinement leur potentiel. Ici, l’objectif est clair : permettre à chacun d’exprimer ses compétences de manière authentique et adaptée.

Le parcours débute par une présélection conjointe menée par les équipes de Dell et leur partenaire. Une fois retenus, les candidats participent à une évaluation immersive de deux semaines. Cette étape remplace l’entretien classique et permet de mettre en lumière, dans un cadre bienveillant, ce que chaque talent peut réellement apporter à l’entreprise.

Goldman Sachs : quand la finance s’engage pour la neurodiversité

Et si l’inclusion devenait un levier stratégique aussi puissant que la performance ? C’est le pari de Goldman Sachs, qui a lancé en 2019 son Initiative de Recrutement pour la Neurodiversité avec un objectif clair : faire en sorte que 1 % de ses effectifs soient composés de talents neurodivergents.

Pensé comme un véritable accélérateur de parcours, ce programme propose un stage rémunéré de huit semaines, spécialement conçu pour les personnes s’identifiant comme neuroatypiques.

Au-delà du simple recrutement, l’expérience intègre un accompagnement complet – formation, coaching, mentorat – pour permettre à chaque participant de révéler pleinement son potentiel dans un environnement bienveillant.

Résultat : dès sa première édition virtuelle en 2020, le programme a affiché un taux de réussite exceptionnel, avec 100 % des participants recrutés.

Aujourd’hui, ces talents peuvent rejoindre les pôles ingénierie, conformité ou opérations dans plusieurs villes américaines, dont New York, Dallas ou Salt Lake City. Et l’engagement va plus loin : la banque collabore également avec Aspiritech, entreprise spécialisée dans l’emploi de personnes autistes sur des missions de tests qualité. Une démarche exemplaire, qui prouve qu’inclusion rime aussi avec excellence.

A propos de l’auteur/autrice

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